SHITAO le moine peintre

Shitao, ou le moine citrouille-amère

Shitao, qui était de sang royal Ming, se fit moine bouddhiste. Poète, calligraphe, théoricien et architecte paysagiste, connu aujourd'hui sous son nom d'artiste "vague de pierre" Shitao, comme la plupart des peintres de paysages de son temps, voyagea beaucoup, mais oeuvra surtout à Yangzhou, l'un des principaux centres de l'activité culturelle de son époque. Bien que bouddhiste, Shitao s'appuie, dans sa théorie, sur d'anciens concepts métaphysiques du taoïsme : "Le fondement de la règle de l'Unique Trait de Pinceau réside dans l'absence de règles qui engendre la Règle; et la Règle ainsi obtenue embrasse la multiplicité des règles." Ainsi, Shitao réclame la liberté totale pour développer sa propre personnalité artistique.

"Shitao est considéré, à juste titre, comme l'un des plus grands peintres chinois : grand par la singularité de son génie d'artiste autant que par la haute conception qu'il se faisait du geste de peindre - qu'il a exprimée de si magistrale façon dans ses fameux Propos sur la peinture du moine Citrouille-amère.(...) La naissance de Shitao coïncide avec l'effondrement de la dynastie des Ming, c'est-à-dire avec la désintégration de tout un monde.(...) Ne cherchez pas Shitao le long du fleuve, ni sur la route de Pékin ou de Nankin, chuchote ici chaque trait de pinceau. Son corps feint d'habiter ce monde, mais loge en vérité sur le papier - le papier qui attend de boire l'encre. Ce que dit, mieux que tout, ce petit poème inscrit dans une marge : Sous le pinceau, fragrances des Monts et des Eaux, Couleurs des arbres fondues dans la brume lointaine. L'homme s'est endormi dans la chaumière décrépie, Son coeur erre parmi les nuages, au coeur du tableau." François Cheng

L'unique trait de pinceau, Propos sur la peinture

l'Unique Trait de Pinceau

Je vous conseille de lire le traité même s'il peut paraître un peu ardu de prime abord, lisez le comme un poème, laisser vous bercer par les sens, son essence-ciel..

CHAPITRE I : L’UNIQUE TRAIT DE PINCEAU

Dans la plus haute Antiquité, il n’y avait pas de règles ; la Suprême Simplicité ne s’était pas encore divisée.

Dès que la Suprême Simplicité se divise, la règle s’établit.

Sur quoi se fonde la règle ? La règle se fonde sur l’Unique Trait de Pinceau.

L’Unique Trait de Pinceau est l’origine de toutes choses, la racine de tous les phénomènes ; sa fonction est manifeste pour l’esprit, et cachée en l’homme, mais le vulgaire l’ignore.

C’est par soi-même que l’on doit établir la règle de l’Unique Trait de Pinceau.

Le fondement de la règle de l’Unique Trait de Pinceau réside dans l’absence de règles qui engendre la Règle ; et la Règle ainsi obtenue embrasse la multiplicité des règles.

La peinture émane de l’intellect : qu’il s’agisse de la beauté des monts, fleuves, personnages et choses, ou qu’il s’agisse de l’essence et du caractère des oiseaux, des bêtes, des herbes et des arbres, ou qu’il s’agisse des mesures et proportions des viviers, des pavillons, des édifices et des esplanades, on n’en pourra pénétrer les raisons ni épuiser les aspects variés, si en fin de compte on ne possède cette mesure immense de l’Unique Trait de Pinceau.

Si loin que vous alliez, si haut que vous montiez, il vous faut commencer par un simple pas. Aussi, l’Unique Trait de Pinceau embrasse-t-il tout, jusqu’au lointain le plus inaccessible et sur dix mille millions de coups de pinceau, il n’en est pas un dont le commencement et l’achèvement ne résident finalement dans cet Unique Trait de Pinceau dont le contrôle n’appartient qu’à l’homme.

Par le moyen de l’Unique Trait de Pinceau, l’homme peut restituer en miniature une entité plus grande sans rien en perdre : du moment que l’esprit s’en forme d’abord une vision claire, le pinceau ira jusqu’à la racine des choses.

Si l’on ne peint d’un poignet libre, des fautes de peinture s’ensuivront ; et ces fautes à leur tour feront perdre au poignet son aisance inspirée. Les virages du pinceau doivent être enlevés d’un mouvement, et l’onctuosité doit naître des mouvements circulaires, tout en ménageant une marge pour l’espace. Les finales du pinceau doivent être tranchées, et les attaques incisives. Il faut être également habile aux formes circulaires ou angulaires, droites et courbes, ascendantes et descendantes ; le pinceau va à gauche, à droite, en relief, en creux, brusque et résolu, il s’interrompt abruptement, il s’allonge en oblique, tantôt comme l’eau, il dévale vers les profondeurs, tantôt il jaillit en hauteur comme la flamme, et tout cela avec naturel et sans forcer le moins du monde.

Que l’esprit soit présent partout, et la règle informera tout ; que la raison pénètre partout, et les aspects les plus variés pourront être exprimés. S’abandonnant au gré de la main, d’un geste, on saisira l’apparence formelle aussi bien que l’élan intérieur des monts et des fleuves, des personnages et des objets inanimés, des oiseaux et des bêtes, des herbes et des arbres, des viviers et des pavillons, des bâtiments et des esplanades, on les peindra d’après nature ou l’on en sondera la signification, on en exprimera le caractère ou l’on en reproduira l’atmosphère, on les révèlera dans leur totalité ou on les suggérera elliptiquement.

Quand bien même l’homme n’en saisirait pas l’accomplissement, pareille peinture répondra aux exigences de l’esprit.

Car la Suprême Simplicité s’est dissociée, aussi la Règle de l’Unique Trait de Pinceau une fois établie. Cette Règle de l’Unique Trait de Pinceau une fois établie, l’infinité des créatures s’est manifestée. C’est pourquoi il a été dit : « Ma voie est celle de l’Unité qui, embrasse l’Universel ».

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ENSUITE POUR APPROFONDIR PLUS EN DETAILS,

il y a le livre de Pierre Rickmans, le premier traducteur en langue française, avec toute la richesse de ses commentaires sur :


TRADUCTION ET COMMENTAIRE

par P. RYCKMANS

Le traité de Shi Tao occupe une place privilégiée dans l'ensemble des théories

chinoises de la peinture : il se situe tout à la fois au terme et au sommet d'une longue

tradition dont il rassemble les richesses essentielles ; puisant de manière syncrétique

aux diverses sources de la pensée classique, il donne à la théorie picturale la forme

d'une synthèse philosophique originale qui, de l'aveu général des critiques chinois et

occidentaux, constitue une des expressions les plus hautes et les plus complètes de

l'esthétique chinoise.

A serene landscape painting by Shitao depicting traditional Chinese scenery.
A serene landscape painting by Shitao depicting traditional Chinese scenery.